#TQ2026 | Traduction & Qualité 2026 : Comment rester créatif face à la machine ?

« Creativity is intelligence having fun », Albert Einstein
En traduction, les outils et la technologie sont aujourd’hui omniprésents (voir Rothwell et al., 2023 pour un inventaire global récent). Après la traduction assistée par ordinateur (TAO) et la traduction automatique (TA), ce sont de nouveaux outils dits « d’Intelligence artificielle (IA) générative », à savoir les Large Language Models LLM), qui ont fait une entrée parfois tonitruante dans la boîte à outils des traducteurs et des traductrices. Chaque année, les enquêtes ELIS (European Language Industry Survey) nous montrent à quel point l’utilisation des outils d’aide à la traduction est répandue, tant chez les indépendants qu’au sein des agences de traduction. Ainsi, l’enquête 2025 nous apprend que la TAO est désormais utilisée par plus de 8 professionnels sur 10 et la traduction automatique par environ 1 professionnel sur 2. Les outils d’IA générative quant à eux font une apparition remarquée avec une utilisation présente chez 34% des agences et 43% des indépendants.
Les différentes vagues technologiques apportent avec elles chaque fois la même promesse : gagner en productivité, en cohérence terminologique, pour traduire toujours davantage et plus vite. Au-delà des problématiques autour des conditions de travail et de rémunération, mais aussi autour de la propriété intellectuelle et de l’empreinte écologique, une question importante se pose : qu’en est-il de la qualité des traductions ? Des études ont montré que parmi les enjeux posés par les outils qui fournissent automatiquement des traductions se trouve la standardisation de la langue qui est générée. On parle ainsi de « machine-translationese » (voir p. ex. Loock, 2020 ; De Clercq et al., 2021 ; Vanmassenhove et al., 2021), de « post-editese » (voir p. ex. Daems et al., 2017 ; Toral, 2019 ; Bouillon & Volkart, 2024), et désormais de « AIese » (le terme « ChatGPTese » semble également fréquent) pour qualifier les divergences linguistiques entre ces textes générés par ce que l’on appelle la « machine », avec intervention humaine dans le cas de la post-édition, et des textes rédigés directement dans la même langue, qu’il s’agisse ou non de traduction.
Se pose alors la question de la créativité : les textes générés automatiquement peuvent-ils être aussi créatifs que des textes rédigés par des professionnel(le)s de la traduction ? Si la créativité en traduction n’est pas aisée à définir ni à mesurer (Guerberof-Arenas & Toral 2022, Hewson 2017), elle s’oppose incontestablement à la standardisation ou encore normalisation de la langue, qui se caractérise par un appauvrissement lexical et syntaxique général, des répétitions, une sur-utilisation des termes fréquents au détriment de solutions moins courantes (on parle alors de « biais algorithmique »), un manque de variation dans la construction des phrases (choix structurels, ordre des mots). On entend souvent dire que les textes générés automatiquement sont « plats », manquent de « relief » ou encore de créativité.
L’utilisation des technologies briderait donc potentiellement la créativité, celle des professionnel(le)s mais aussi celle des futur(e)s professionnel(le)s (Guerberof-Arenas & Toral 2022, Daems et al. 2025, Kong & Macken 2025). Par exemple, en imposant des choix de traduction, la traduction automatique entraîne ce que l’on appelle en psychologie un « biais d’ancrage », résultat d’un « priming effect » (Carl & Schaeffer 2017) : la visualisation d’un premier stimulus empêche toute recherche d’autres solutions de traduction, possiblement meilleures.
Au-delà, il est également possible de craindre ce que Desagulier (2025) nomme un « ouroboros linguistique » : les outils s’appuient sur des textes qu’ils ont eux-mêmes produits pour en générer de nouveaux, ce qui ne peut que nuire à la créativité et entraîner une « distorsion progressive de ce que nous considérons comme le langage naturel ». Cet enjeu revêt une importance particulière à une époque où les textes qui alimentent le web semblent de plus en plus générés ou traduits de façon automatique, et par conséquent de qualité souvent discutable (Thompson et al., 2024 ; Bevendorff et al., 2024).
Enfin la question de la créativité en traduction pose la question de l’acte créatif en lien avec la propriété intellectuelle : pour que le droit d’auteur s’applique et que la traduction soit considérée comme une œuvre de l’esprit, l’apport créatif doit être démontré (Reynaud & Klein, 2018). Comment le mesurer dans un contexte où les outils générant des traductions de façon automatique sont omniprésents ?
La journée d’études « Traduction & Qualité 2026 » souhaite se pencher sur cette question de la créativité : comment rester créatif/créative en traduction face à l’utilisation massive d’outils générant une qualité de langue souvent sous-optimale bien que grammaticalement correcte ? quelle place pour la créativité humaine ou encore l’inattendu linguistique qui font qu’un texte paraîtra idiomatique et percutant ? La question de la reconnaissance du travail des traducteurs/traductrices se pose également : comment garantir que la traduction continue à être perçue comme une activité créative ? Comme à chaque édition, la journée sera l’occasion d’aborder les choses en mêlant point de vue universitaire et point de vue professionnel.
Intervenant(e)s :
David Barbier, CNET
Ondřej Hrách, AI educator
Lieve Macken, Université de Gand
Hannah Martikianen, Université Sorbonne Nouvelle (ESIT)
Antonio Toral, Université d’Alicante
Kris Van De Kerckhove, juriste
Représentant(e) de Reverso
Cette journée bénéficie du soutien de l'Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT)
